VOIR

J’aime observer… ou plutôt: J’aime contempler et,
grâce à ma petite boîte d’aquarelle,
la contemplation débouche
sur une forme d’observation qui m’engage à rester sur place – la durée d’un travail à accomplir!…

L’aquarelle me fraye le chemin d’une expérience.
Grâce à elle j’imagine le monde
par le fait que je le vois au moment où je le vois
et, inversement, je vois le monde par le fait que je l’imagine
au moment où je l’imagine.

Cela motive:

Ce que je vois du monde, ce ne sont plus des choses:
Etourdies par les couleurs qui animent mon champs de vision,
les choses font place à des motifs, qui tantôt s’installent et s’imposent, tantôt vont et viennent.

ME SOUVENIR

Les fruits de mes expériences,
j’ai décidé de ne pas
les semer à tous vents
mais de les recueillir numérotés
dans un carnet

Ainsi, en mai huitante-six, 
au milieu de ma formation,
à la Kunststudienstätte Ottersberg naquit
mon journal peint.
(Ci-contre à droite: l’aquarelle numéro une).

Trente-cinq ans plus tard,
au terme de ma carrière d’enseignant, le journal,
arrivé au tome douze et au numéro six-cent-un,
se met aussi à exister, -toujours numéroté-
en-dehors du carnet.

IMAGINER

À mesure que j’imagine
ce que je vois,
que je peins
ce que j’imagine
et que je me souviens
de ce que je peins
grandit l’espoir de voir un jour
par-delà la mémoire
ce que je n’imagine pas encore
et que je n’ai jamais vu..

Est-il venu, le moment de créer?

La provision d’images
devient carnet d’étude!

CHOISIR LE MOTIF À PEINDRE

Exercice de concentration soutenue, toilette rapide et rafraîchissante de la vision, constitution d’un répertoire de motifs, l’aquarelle jouerait-elle autrement son rôle si je n’avais renoncé à l’expérience, probablement fabuleuse, de fabriquer d’abord le papier moi-même?!

Pour la peinture à l’huile,les différentes étapes de la fabrication des supports, les pauses et les attentes qu’elles impliquent me semblent quoi qu’il en soit nécessaires comme la chrysalide au papillon. Du papier aquarelle à la toile, le motif devra pouvoir préparer sa mue … mais, en attendant, il me faut le repérer.

RECOMPOSER

Je suis à la recherche d’un point de vue nouveau. Je commence par basculer l’image et par la démembrer.

Sans me soucier de l’avis public – « Attention! C’est une vieille branche dans un sous-bois avec échappée sur la campagne » – je tâche de faire revivre le motif débarrassé du concept et me dis : «Laisse la branche se décomposer, sors du sous-bois et accompagne ton regard sur le chemin du nouvel espace rendu possible! ».

ASSEMBLER LES BOIS DE CHÂSSIS

Si j’ai choisi de fabriquer mes supports moi-même…

…les bois de châssis et la toile, je les ai commamdés!

ENTOILER LES CHÂSSIS

La toile est attachée au moyen d’agrafes.

Celles-ci maintiennent la toile chacune par deux pointes et sont ainsi plus sûres que les clous traditionnels.

La tension de la toile se construit au fur et à mesure en commençant par le milieu. En parvenant dans les coins on élimine les jeux.

Il s’agit à la fois de ne pas relâcher et de ménager l’espace disponible pour rabattre le tissus superflu.

Après l’effort,

le repos et le plaisir

d’effleurer du regard

et de la main

la surface

doucement rugueuse

de la toile!

METTRE LA COLLE À TREMPER

La colle de peau,
un produit animal qui peut dégager une odeur prononcée
se présente en général sous forme de granulés
ou de flocons.

On la pèse, on la verse
dans la quantité d’eau qui convient
puis on la laisse se gorger d’eau pendant une nuit
ou au moins deux heures.

CHAUFFER LA COLLE

Jusqu’à peu très largement employée par les artisans pour le collage des matériaux à base de cellulose comme le bois, la colle de peau est aussi appelée colle forte. Il n’y a guère qu’une chose à laquelle elle ne résiste pas, c’est la chaleur.

Pour la rendre utilisable on profite de cette « faiblesse » et, une fois qu’elle est gorgée d’eau, on la chauffe pour la fluidifier.

L’eau du bain-marie peut bouillir mais il faut veiller à ce que la colle devenue fluide ne se mette pas à bouillir.

Elle en deviendrait inutilisable.

ENCOLLER LA TOILE

Appliquée rapidement
-pendant qu’elle est chaude-,
de façon à ce qu’elle recouvre
la toile entièrement
d’une couche fine et régulière et, autant que possible,
sans la traverser,
la colle, une fois sèche,
accentue la tension de la toile, la durcit
et la protège.

LA BLANCHIR

Certains peintres travaillent directement sur la toile encollée mais, pour aplanir la surface à peindre et permettre aux couleurs d’apparaître dans tout leur éclat on la recouvre la plupart du temps d’une préparation blanche.

J’ai préparé un mélange bien brassé de blanc de titane, d’huile siccativée et de térébenthine.

LA METTRE À SÉCHER

Il faut au moins deux couches pour obtenir une surface blanche à peu près uniforme.

Chaque couche a besoin d’être mise à sécher pendant une semaine environ. Si je ne le lui permets pas elle risquera de se dissoudre sous l’effet de la peinture que j’y appliquerai par la suite et d’être ainsi la cause de toutes sortes de taches.

L’INSTALLER

Il m’importe de pouvoir peindre aussi les tranches -les côtés de la toile perpendiculaires à la paroi-!

C’est pourquoi je ne pose pas les châssis mais les suspends.

CHOISIR LES PIGMENTS

Les pigments dont je me sers s’achètent moulus.

Ils sont exempts de charge
et j’aime varier la façon de les broyer :

dilués tous purs
dans un glacis d’huile siccativée
et de térébenthine,
mélangés au liant, avec de l’ardoise
ou de la craie, en une crème onctueuse

ou, avec du sable,
en une pâte rugueuse.

LES BROYER

Le meilleur broyage se fait au moyen d’une molette sur une pierre ou sur une plaque de verre. Pour ma part, je me sers d’un couteau à peindre pour broyer les pigments directement dans un godet…

ici dans une assiette à raclette.

FAIRE UNE ÉBAUCHE

Pour l’ébauche
j’utilise une émulsion à l’œuf,
plus légère que l’huile pure.

PEINDRE OU OBSERVER

En me libérant de toute intention d’intervenir, les temps de séchage
se muent avantageusement en moments gratuits d’observation désintéressée :

Passer sans penser à rien devant l’œuvre en chantier mène parfois plus loin qu’une séance de travail… et combien de signaux restent lettres mortes parce que le hasard n’a pas été convié pour rendre le regard réceptif?

LAISSER ÉVOLUER